Batailler Albert (1911 – 1975)
Maréchal des Logis-chef, 2ème Escadron Somua
Saint Didier la Forêt, novembre 1939.
Le maréchal des logis chef Albert BATAILLER (pas encore 29 ans), pendant une courte permission. C'est la "drôle de guerre".
© Jacques Batailler
[ Extrait d’un journal familial rédigé par Jacques Batailler, fils du MDL-Chef Albert Batailler ]
Bien entendu, les Teutons passèrent une nouvelle fois par la Belgique et des troupes furent envoyées précipitamment pour combler un vide dramatique. Parmi ces troupes, il y avait celle où œuvrait mon MDL-Chef de père, qui, cette fois, avec neuf mois de retard sur ses estimations, avait dû quitter Saint-Germain-en-Laye pour essayer d'enrayer la progression foudroyante des chevaliers teutonesques. Papa Albert courait vers son destin avec la radieuse perspective de devenir, au choix, manchot, cul-de-jatte, aveugle ou, plus radicalement encore, macchabée. Son sort rapide, comme on le verra, ne sera pas celui-là, mais seulement, si je puis dire, de recevoir dans la couenne des bouts de ferraille brûlants et dévastateurs.
La frontière de la Belgique fut franchie et, à côté d'un patelin belge nommé Chastre, le quatorze mai mille neuf cent quarante, quatre jours donc après la mise en route, en assurant les missions qui lui étaient confiées, il reçut une rafale d'éclats d'obus à la base de la tête. Trente-deux éclats dans la zone de la colonne vertébrale nécessitant une évacuation d'urgence. Outre cette citation du neuf juin mille neuf cent quarante, mon papa fut décoré de la Croix de Guerre avec Palme, également le neuf juin mille neuf cent quarante, puis, plus tard, le dix décembre de la même année, de la Croix des Blessés et enfin, encore beaucoup plus tard, le vingt-deux mai mille neuf cent quarante-quatre, de la Médaille Militaire.
Certes, je le dis tout de suite, il fut opéré et apparemment fut guéri. Mais ces trente-deux éclats ne furent pas tous ôtés et certains devaient lui jouer de bien vilains tours. Vingt ans après. Pour l'instant, il est là, gisant, mais conscient. Il se rappelle très bien, par exemple, qu'il contrôlait ses sens, ses muscles, son pouls, qu'apparemment tout ça semblait fonctionner, mais qu'une chose l'inquiétait quand même c'est qu'on lui avait agrafé une fiche d'évacuation prioritaire, le considérant donc comme un blessé grave. Le fait est que les médecins craignaient sans doute que des centres vitaux aient été atteints … … qu'il s'en était fallu d'un poil pour certains des éclats … … et que, comme je l'ai dit, le pronostic à vingt ans, s'il avait pu être fait à ce moment-là, aurait bien justifié cette fiche d'évacuation privilégiée.
J'ai essayé de retrouver ce coin précis de Belgique où mon papa fut blessé, on peut dire, à mort. J'ai correspondu pas mal avec l'ambassade belge, les "échevins" locaux, et même des historiens du cru. Et aussi avec des Belges croisés lors de sessions à Lourdes. J'ai peut-être localisé le fameux pont où il reçut cet essaim d'éclats tueurs. Il s'agirait, sauf erreur bien sûr, du tout petit viaduc qu'emprunte la voie ferrée Namur-Bruxelles et qui enjambe la route qui mène de Chastre à Walhain. Est-ce là que, pilotant son groupe, le MDL-chef Albert Batailler dut se réfugier en catastrophe pour éviter l'écrabouillage complet et que mon papa y gravit les premières marches de son Golgotha ?
Evacué prioritaire donc. Sur Dieppe d'abord. J'ai en main une lettre écrite de cette ville et datée du dix-neuf mai, cinq jours après la blessure, où on lit notamment, qu'il avait déjà écrit une lettre et où il juge son état satisfaisant. Il ne ressent presque aucune douleur et il termine sa lettre en faisant des bises à Kikou chéri. C'est moi, Kikou chéri, et, à l'âge canonique qui commence à être le mien, je suis tout attendri de cet amour de mon jeune papa. Cette lettre nous apprend aussi, par les tampons qui la balafrent que cet hôpital auxiliaire était logé dans une école, l'école maternelle Blainville, rebaptisée semble-t-il, Hôpital Rosendal.
Le séjour ne fut pas long à Dieppe, même pas une dizaine de jours, car une autre lettre datée du vingt-quatre mai quarante nous apprend que depuis le 22 à minuit il est dans un train sanitaire. Il ne sait pas où ce train se dirige. Direction Châteauroux. Il se demande même s'il ne va pas atterrir à Vichy. Ce qui serait bien sûr une aubaine. Mais non, il débarque dans un autre hôpital auxiliaire, à Châteauroux donc. Terminus. Cet hôpital "complémentaire" – sa qualification officielle - était installé au lycée de garçons. Notre militaire s’y requinque à toute allure. Plus vite même que tout le monde le pensait, médecins compris, puisque, courant juin, maman précise même, le dix-sept, alors même que "les papiers" n'avaient pas encore eu le temps d'exister, on le vit débarquer en chair et en os, à la maison.
" Chef comptable d'un escadron de chars, a maintenu avec son capitaine une liaison fréquente, même sous le feu. A été blessé grièvement en s'assurant de la bonne exécution du ravitaillement. "
Un pont de chemin de fer près de Chastre en Belgique.
UN pont ... ou plus probablement LE pont...