Comte d’Erceville Rolland de Chambaudoin, Pierre (Arquenay, 1913 – Le Mans, 1979)
Cuirassier, 1er Escadron, 2ème Peloton. Conducteur de char Somua. Peloton du lieutenant de Presle

Comte Pierre d'Erceville Rolland de Chambaudoin
Pierre d’Erceville – © Famille

Les informations qui suivent proviennent d’échanges avec Mr Jean d’Erceville, fils du combattant.

Jean d’Erceville :

Mon père était un cavalier de bon niveau, orphelin très jeune (son père Bernard fut tué à Verdun le 18 novembre 1915) il avait appris à se débrouiller seul. Sa modestie lui semblait naturelle ; toute sa vie il a refusé d’être décoré de quoi que ce soit tant à titre militaire que civil (ayant exercé des responsabilités locales), malgré les pressions amicales de certaines de ses relations. Il considérait que ce qu’il avait fait ou que ce qu’il faisait relevait du « normal » et qu’il avait eu beaucoup de chance de survivre à des évènements tragiques. Il abhorrait vantardise et mise en avant .Bien qu’ayant donné quasiment sept années de sa jeunesse au service de la patrie, nous ne l’avons jamais entendu se plaindre.”
Comte Pierre d'Erceville Rolland de Chambaudoin
  • Classe 1933
  • Service militaire d’octobre 1934 à octobre 1935 au 1er régiment de chasseurs à Alençon, escadron de mitrailleuses. Déjà à cette époque le cavalier s’intéresse à la force mécanique et pilote des autochenilles
Comte Pierre d'Erceville Rolland de Chambaudoin
Comte Pierre d'Erceville Rolland de Chambaudoin
1935. En passager du side-car
  • 7 au 27 novembre 1937 : période de réserve au 1er régiment de  chasseurs 
  • 26 aout 1939 mobilisation partielle arrive au 1er régiment de chasseurs 
  • 1er septembre 1939, mobilisation générale. Affecté à Alençon, il se désole de la léthargie générale, dénonce dans ses lettres ce qu’il nomme « le rodage de paillasse » et l’inactivité ; il se démène pour être intégré dans une unité combattante
  • 22 novembre 1939, affecté au centre d’organisation mécanique de la cavalerie à Fontevrault en qualité de spécialiste

Correspondance de Pierre d’Erceville

“Nous avons comme montures de magnifiques blocs d’acier dont rien ne peut donner une idée quand on ne les a pas vus en action, ce sont des chars Somua du dernier modèle, 22 tonnes en ordre de marche ; ça ne parait pas facile à piloter et je crois que nous allons en baver.  Si tu pouvais voir un de ces gros machins, tu te rendrais compte qu’il faut un certain temps pour se familiariser avec tous les trucs du pilotage et de l’armement.”
  • 30 mars 1940 : breveté pilote de char de combat (char Somua S 35)
Comte Pierre d'Erceville Rolland de Chambaudoin
Magnifique archive laissant paraître le sceau du 2ème Régiment de cuirassiers et la signature du colonel du Vigier

Jean d’Erceville

“Papa gardait un bon souvenir de ces entrainements à Sissonne ; il parlait parfois de la façon dont ils abattaient de grands sapins en faisant grimper le char en équilibre le long du tronc. Le 8 avril, ayant fini son instruction, le Régiment rejoint la zone des Armées à l’est de Cambrai.”

Le 10 mai, lors du déclenchement de la guerre, il semble que Pierre d’Erceville soit en permission, ce qui est le cas de nombreux mobilisés à ce moment précis. Le MDL Marcel Janssen signale dans son journal de guerre que Casaubon fera office de conducteur en l’absence de d’Erceveille et Belhague. Dès lors Pierre va s’employer à rejoindre son régiment au plus vite. Sa correspondance nous signale sa présence le 15 juin 1940 à Fontevrault afin de prendre livraison de matériel.

Correspondance de Pierre d’Erceville, 15 juin 1940

“Ne te frappes pas pour le moral ; quoique nous soyons en ce moment à l’arrière nous n’avons qu’une idée : retrouver nos copains et notre régiment. Malheureusement nous sommes de pauvres cavaliers sans montures ; quelle responsabilité pour nos gouvernants de n’avoir pas su nous donner le matériel nécessaire ! Mon régiment s’est conduit magnifiquement en Belgique ; plus tard j’espère pouvoir te raconter tout cela…J’ai appris avec une peine profonde que mon ami et chef de char le maréchal des logis chef Janssen est porté disparu ; mon lieutenant de peloton également ; c’est la guerre…nous devons écarter tout sentiment et n’avoir qu’une pensée : servir jusqu’au bout ; que le Bon Dieu nous y aide.”

Correspondance de Pierre d’Erceville, 17 juin 1940

“Ai enfin retrouvé mon régiment ; suis en ce moment quelque part en France ; santé et moral bon” 

Le 21 juin, Pierre d’Erceville est présent lors du carnage de Saint-Epain où il est fait prisonnier.

Correspondance de Pierre d’Erceville

“Mon dernier petit mot était écrit au moment où je venais de retrouver mon régiment ; nous n’avions plus de chars et nous étions transformés en dragons portés ; nous étions à ce moment-là en position d’avant-garde le long de la Loire : nous y sommes restés jusqu’ ‘à la fin. Nous protégions le repli de la division, et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons été pris après l’armistice ; les ordres ne nous parvenaient plus et nous ne savions trop que faire. Nous avons eu des bombardements d’artillerie lourde, puis une dernière prise de contact dans le petit bourg de Saint-Epain aux environs de Tours. J’ai eu une certaine veine, un obus ayant traversé mon camion tuant deux copains à côté de moi ; j’en ai été quitte pour faire un plat ventre forcé. Mais j’ai surtout été protégé pendant mon séjour dans le Nord au bombardement de Tergnier.”

Véhicules militaires ou civils ont toujours fait partie de la vie de Pierre d’Erceville

Pierre d'Erceville
Véhicules militaires
Pierre d'Erceville
Véhicule civil

Quelques souvenirs des faits de guerre dont se rappelle la famille.

Au sujet du lieutenant de Presle :  

Le lieutenant, il était gonflé, gonflé ; il disait : on regarde, on fonce, on bouscule, on revient !

Au sujet de la conduite d’un char :

Le plus fatiguant était de conduire la nuit tous feux éteints en se fixant uniquement à la petite ampoule violette du char précédent, et ça on l’a fait très souvent …

Survolé par un avion ennemi un officier ou sous-officier lui aurait interdit de tirer en lui disant qu’il était fou car il les ferait repérer…

Souvenir évoqué par son fils :

Un souvenir datant des années 70 :  lors d’un déplacement, nous nous étions arrêtés en Ecouves à la Croix Medavy ; à l’époque on pouvait approcher et toucher l’épave du char Sherman de la 2eme DB ; dans ma mémoire il me reste son émotion qu’il tentait de cacher et des observations comparatives. Aujourd’hui, je comprends mieux…


Les circonstances de la captivité de Pierre évoquées par son fils Jean

Le camion de transport dans lequel il se trouvait a fait l’objet d’un tir d’obus qui a décapité des camarades à côté de lui et, tout le monde ayant sauté dans un fossé, aurait trouvé devant ses yeux les fusils de soldats allemands. Il expliquait qu’ils avaient sauté d’une hauteur incroyable et que seul l’instinct de survie permettait d’accomplir un tel bond. Il a aussi parlé d’une cave ; peut-être est-ce le premier endroit où ils ont été retenus ?

Papa se retrouva ainsi dans le frontstalag 180 qui regroupait des éléments considérés (à juste titre) par l’adversaire comme les plus combatifs. Le fronstalag 180 se situa à Tours de juillet 1940 à octobre 1940, puis fut transféré à Amboise (octobre 1940-mars 1941).

Des kommandos agricoles sont organisés ; Papa y est versé et pendant deux mois travaillera dans des exploitations à Druye au nord-est d’Azay le Rideau non loin de la forêt de Villandry. Ces kommandos soulagent la population rurale et permettent un minimum de rendement ; mais ils participent aussi d’une intoxication psychologique laissant accroire l’idée que chacun rentrera bientôt dans sa famille ; le système de kommandos agricoles est brutalement stoppé à l’automne avec réintégration en fronstalag fermé.

Papa fut, avec d’autres camarades d’infortune, « expédié » en Allemagne en janvier 1941 ; après un long et pénible périple dans des wagons à bestiaux, il arriva au stalag XI A le 14 janvier 1941.

Pierre D’erceville nous relate les circonstances de sa libération dans le texte ci-dessous provenant de sa correspondance

Dimanche 28 avril 1945

Toujours du nouveau ! Hier l’équipe du 170/13 part avec Burton de bon matin. Il parait que l’on peut passer sur un pont de bateaux aux mains des américains au nord de Rosslau. Pour cette fois je reste encore- les russes approchent toujours. Zerbst est tombé, les américains y sont et laissent prisonniers et civils passer avec eux. Aujourd’hui deux belges partent dans cette direction ; je devais les accompagner mais Bandeben est parti en forêt et je ne veux pas le laisser tomber : sans doute partirons nous demain matin ; en attendant je prépare ma valise….

Le samedi 12 mai 1945
Que de fois pendant ces mornes années de captivité, la mention « Rien à Signaler » m’est venue à l’esprit lorsque je voulais rédiger mon journal quotidien ! Mais cette fois rien de semblable et du fond de mon cœur un hymne chante et monte vers le Ciel « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » 
Ces jours magnifiques, inoubliables, tant espérés et si souvent évoqués aux heures de cafard je viens de les vivre si rapidement si intensément que j’en reste tout étourdi et presque incrédule … Mais j’en reviens au fait :
Le mardi 1er mai les russes sont à Serno à six kilomètres de nous et les américains à dix kms environ mais plus au nord ; l’Elbe est franchi presque partout ; pourtant on ne peut plus passer que difficilement dans les lignes américaines excepté en direction de Magdebourg où un pont serait encore libre : nous décidons de partir le lendemain matin. Départ en effet le 2 mai avec deux voitures à bras pour nos bagages ; passons par Grimme, Nedlitz, et arrivons le soir( environ 50 kms à pied) à Schweinitz à 9 kilomètres de Loburg. Là nous dormons dans une grange et j’y attrape une angine carabinée qui faillit bien empêcher mon retour en France quelques jours après ; l’artillerie tire toute la nuit et les obus passent au-dessus de nous ; des quantités de soldats allemands en retraite dorment un peu partout écrasés de fatigue ; on raconte un tas de bobards : fin de guerre, pourparlers etc… la guerre est évidemment finie pour l’Allemagne, mais pas encore sur le papier ! 

Le jeudi 3 mai nous sommes enfin libérés de la façon suivante : partis de Schweinitz nous arrivons à Loburg où les habitants nous racontent qu’une trêve vient d’avoir lieu pour permettre à une centaine de camions de la Croix-Rouge américaine d’aller chercher les prisonniers du camp d’Altengrabow : nous pensons que cette nouvelle n’est qu’un bobard de plus et nous allons nous restaurer dans un hôtel ; mais peu de temps après un ronflement puissant nous fait sortir dehors et nous avons peine à croire nos yeux ; en effet des tas de camions de l’armée américaine traversent la ville à toute allure chargés d’hommes à craquer ; ce sont surtout des prisonniers américains anglais et belges ; ils sont tous à moitié fous de joie !!
Voyant cela, à quatre que nous restons, nous fonçons droit sur l’Elbe vers Lindau : chemin faisant nous traversons un vrai champ de bataille avec beaucoup de matériel détruit ou abandonné ; de loin en loin au bord de la route des mitrailleurs allemands sont à leurs pièces et nous laissent passer sans même nous regarder ; brusquement au bout de trois kilomètres nous voyons s’approcher doucement sur la banquette une voiture légère de reconnaissance dont les cinq occupants sont armés jusqu’aux dents ; nous nous apercevons alors avec un bonheur indescriptible que ce sont des américains ; l’un d’eux canadien d’origine parle bien le français ; effusions, renseignements mutuels ; c’est fait nous sommes libérés !! 
Dans la soirée nous arrivons à Zersbt et couchons dans une immense caserne où on nous distribue beaucoup de vivres mais surtout l’air de la liberté !! ; avec mon angine je suis malade comme un chien.
Partant le lendemain matin (vendredi 4 mai), nous nous embarquons pêle-mêle dans des camions qui nous conduisent à un train d’enfer vers un patelin à vingt kilomètres près de Hanovre : là nous passons une sale journée pour désinfection et paperasses.
Le lendemain départ encore en camions pour Hanovre où nous embarquons enfin dans des wagons à bestiaux (5 mai).
Après cela par un temps magnifique voyage très lent à travers l’Allemagne en ruines ; nous passons par Münster et Wesel où nous franchissons le Rhin sur un pont de bois provisoire ; du haut de notre perchoir nous apercevons le fleuve encombré par près d’une centaine de péniches coulées. Puis c’est l’arrivée en Hollande et en Belgique par Maëstricht, Liège, Namur et Charleroi (6, 7 et 8 mai). En Belgique où nous sommes très bien reçus, nous apprenons la fin de la guerre et la signature de la capitulation allemande à Reims ; partout on fête la victoire avec délire ; des quantités de drapeaux aux couleurs alliées flottent sur toutes les maisons. Nous pénétrons enfin en France (9 mai) et arrivons à Paris à la gare du Nord vers cinq heures du soir ; réception à tout casser ; dans la nuit encore beaucoup de paperasses, visite médicale, ravitaillement etc. . .
Le 10 à 7h1/4 je prends le train à la gare Montparnasse pour Laval; après une bonne pause forcée au Mans, j’arrive à destination vers 4h1/2.
La captivité est morte, une période de douceur et de repos commence pour nous.

Mais la France nous parait très abîmée plus encore au moral qu’au physique si l’on peut dire 
L’avenir appartient à Dieu.  Qu’il nous préserve longtemps de pareilles années et nous refasse un beau Pays !

Comte Pierre d'Erceville Rolland de Chambaudoin
Pierre d’Erceville et son épouse pendant les années 60

Remerciements à Jean d’Erceville pour son intérêt, les échanges chaleureux ainsi que pour les archives très représentatives qui ont été réunies et mises à disposition.